Deux heures du matin.

La Nuit avait recouvert le ciel de paillettes d'argent, semblable à son long manteau, d'un pas lent, souple et silencieux, tandis que le reflet blafard de sa chevelure blonde irradiait Kentan de sa douce lueur…
Nolhan Ryk s'avançait sur le pavé encore chaud de l'une des rares villes du désert aride dénommé : le Cimetière de pierres.

Il trainait derrière lui un sac gonflé et lourd, qui, a de fugaces moments, s'agitait. Il aurait pu s'agir d'un mouvement d'ombre suggéré par la flamme de l'une des nombreuses torches qui garnissaient la rue.

S'arrêtant face à la devanture d'une auberge bruyante. Il la contempla un instant en silence, respirant les relents âcres de transpiration et d'alcool. Le parfum dont s'aspergeaient outrageusement les filles de joie proposées dans cet établissement, filtrait à travers les interstices des fenêtres et de la porte.


Larigua comptait de loin parmi les villes les plus mal famées du continent.Crainte à la fois par la noblesse et ces gens de bonne foi et de bonne famille. Erigée sur le versant de Souffle-feu, l'unique volcan de Kentan, elle avait acquis sa mauvaise réputation grâce à sa particularité, à la fois géographique et démographique. Servant de repaire à de nombreux groupes belliqueux et malfaisants, ses dirigeants, des Kaldts, n'ont jamais eut de cesse de s'enorgueillir d'être à l'abris même des plus hautes autorités, les laissant jouir de leur liberté et fonder leurs propres règles.

Ryk était un mercenaire de ceux que l'on affublait, à raison, de la citation : sans foi ni loi. Fléau solitaire, egocentrique, arrogant et raciste, il se portait toujours volontaire pour cracher aux visages des Sythères ou des Verez. Il considérait les premiers comme des « je-sais-tout » voulant tout maitriser, les seconds comme des nobliaux imbus de leurs personnes et incapables. Il n'avait foi qu'en lui et surtout en sa force physique, dont il arborait fièrement en paradant les bras et le torse dénudé, les muscles saillants et les cicatrices, livrés comme des trophées de guerre. Quant aux Zargs, cette engeance, il ne les considérait pas moins que des animaux.

Le sac qu'il avait trainé le long des rues suffocantes d'Larigua, avait laissé derrière lui une trainée brune et rouge sur le sol de pierre.

La terre se mit à trembler, brièvement, une bouffée de fumée noirâtre s'échappa d'une large fissure qui lézardait la rue, provoquant un long soupir blasé entre les lèvres du Kaldt.

"Cette ville sera rasée par la fureur du volcan avant même que les autorités n'aient eu le courage d'y mettre un pied. Quel bordel..."

D'un coup bien placé sur la porte de fer privée de verrou, il pénétra dans la pièce comme s'il réclamait, pour la mise en scène de son arrivée, toute l'attention possible. Et il fut bien servit.

Le brouhaha s'arrêta net, les musiciens, bien que jamais personne ne les ai jamais vraiment entendu, aussi. Des dizaines de regards le déshabillèrent de la tête aux pieds. La carrure de Nolhan Ryk aurait put paraitre très voyante dans une ville quelconque, mais en Larigua, il se fondait dans la masse grouillante de brutes épaisses et de vauriens. Quant au tenancier, il ne lui accorda qu'un regard mi-blasé mi-bourru derrière son épaisse barbe grisonnante.

La léthargie qui avait demeuré quelques secondes dans la salle cessa bien rapidement. Les clients reprenaient leurs affaires, le nez plongé dans une bière ou dans le décolleté d'une volumineuse poitrine.
Ryk lança son sac sur le comptoir sans fournir le moindre effort visible et l'ouvrit prestement en dévoilant son contenu avant d'annoncer :


"Je veux votre meilleure chambrée, des repas chauds et votre meilleure catin, …pour trois nuits."

Immobile, une main sur la ceinture et l'autre sur le comptoir de pierre (puisque dans cette ville, absolument rien n'était en bois), le tenancier du bâtiment resta de marbre en observant le sang qui ruisselait légèrement sur les corps de deux Daerenns, fébriles, presque morts. Leurs thorax se soulevaient avec grand peine, et leurs regards, vitreux, accentuaient cette impression de cadavres vivants. Leur peau brillante et claire ne laissait aucun doute sur leur nature : des Noz. 3 cornes frontales dominaient leur crâne, et leurs oreilles, fortement pointues se dressaient, hautaines, vers leur agresseur.

Le commerce de Daerenns, ces créatures très difficiles à attraper et dotées d'une intelligence très supérieure à la normalité animal, était illégal, sauf à Larigua...

"Ce ne sont que des mômes. Je n’en tirerai pas grand chose.
-La paire vaut plus que toutes vos ribaudes réunies dans ma couche. Ils vivent encore, l’argent qu’ils vont vous rapporter au marché noir pourrait nourrir vos putes pendant un mois."


Le tavernier hésita quelques secondes à peine avant de claquer des doigts en direction d'une des femmes assise sur les genoux d'un gros chauve. Cette dernière obéit immédiatement et se présenta au mercenaire, un sourire provocateur plissé aux coins des lèvres, une mouche collée juste au dessous de sa pommette gauche, les seins débordants généreusement de son corset. Elle aspira une bouffée de sa longue cigarette avant d'en recracher la fumée vers Ryk qui s'imaginait déjà toutes les choses qu'il pourrait faire avec ce corps généreux et cette chevelure blonde féline.
La terre trembla à nouveau, et peu de monde s'en préoccupa. Le tenancier était déjà bien affairé à retirer les créatures de son comptoir pour les emmener vers une pièce obscure et retirée, tandis que les mains rugueuses et sales du Kaldt s'apprêtaient déjà à s'agripper sur la peau pâle de son nouvel objet.


Dans un coin reculé de la pièce, un homme, tout de noir vêtu, abattit quelques cartes face à lui, le visage neutre. Ses yeux mi-clos laissaient apparaître une concentration calme… Une prédiction traversait les images de son jeu.

"Quelque chose est sur le point de se passer... les astres se voilent et s'obscurcissent. Ce n'est pas bon, pour Kentan, pour son peuple... bon pour personne."

Une légère effluve de vinasse s'échappa des lèvres du prophète alors qu'il prononçait ces mots en continuant de coucher ses cartes sur la table de fer. Nolhan Ryk grimaça. Il détestait les Zargs. Pire, il éprouvait l'infini besoin de les écraser à la moindre occasion. Délaissant son jouet pour aller en chercher un autre, il s'approcha de la table et afficha un sourire hautain et narquois.

"T'as raison d'avoir les j'tons. Parce que c'est ta race de bâtard qu'on va exterminer. Voilà ce que prédisent tes cartes."

La main du Zargs s'immobilisa au dessus de son jeu, tiquant légèrement d'un mouvement bref ses doigts, comme s'il tentait de se contrôler à la provocation.
Une des cartes de son jeu se mit à vibrer, comme si elle réagissait déjà à la pensée de son maitre…puis une deuxième.
L’autre continuait à vomir ses propos xénophobes.
"Toi et les tiens, vous êtes pire que les Daerenns, vous ne servez à rien. Si encore vos femelles savaient correctement nous su..."

Brusquement, les deux cartes volèrent jusqu'aux mains de l'homme attablé, celui-ci releva sur son adversaire un regard rempli de haine et de dégoût. L'homme réunit les deux mains devant lui et les deux cartes une fois assemblées brillèrent d'un halo mauve, une déflagration se fit entendre faisant trembler la pièce. Le Kaldt fut projeté en arrière comme percuté par une force invisible mais violente, lui faisant traverser la fenêtre et atterrir à l'extérieur de la bâtisse. Enthousiasmé par la perspective de pouvoir joyeusement se mettre sur la figure les uns des autres, sans plus de motif, une bagarre se déclencha. Plus tôt que prévu, certes, mais cela faisait partit des mœurs locales.
Satisfait, le cartomancien coupa son jeu, et le glissa dans sa poche.

Ryk atterrit lourdement sur le sol, la mâchoire percutant la pierre, le goût du sang inondant brusquement sa bouche. Il jura et pesta, se redressant sur ses coudes s’apprêtant à en découdre, quand il vit une ombre le recouvrir. Une silhouette, se dressait au dessus de lui, nappée d'une cape sombre, encapuchonné, elle braqua son visage vide sur lui. Jamais il n'oublierait se visage dépourvu de traits et noir comme l'infini. 

Dans la nuit d'Larigua, comme dans de nombreuses autres villes, certes plus fréquentable (et de loin...), des hurlements perçant se firent entendre...