Plus rien n'avait d'importance hormis cette maudite soif qui écorchait son palais ainsi que ses lèvres asséchées et craquelées, où ruisselaient de temps à autre entre les fissures, quelques perles de sang. Il avait sans doute mal estimé son temps de trajet à travers le désert, ou peut-être avait il dévié de sa route depuis qu'il avait vérifié les astres du manteau de Nuit, et la perspective de dormir à nouveau ici ne l'enchantait guère, car aussi chaude que pouvaient être les journées, les nuits, quant à elles, étaient aussi froides que la cime des montagnes.
La veille, il avait franchit le pont qui traversait l'Oxymore, le grand Canyon du Désert de Pierre, et il ne devait plus être loin de Larigua. La poussière qui envahissait ses poumons, chargés de particules brûlantes qui s'échappaient régulièrement de la gueule du Souffle feu, le conforta dans cette idée.

Il trouva refuge à l'abri précaire d'un acacia dépourvu de feuilles, et retira le bandana clair qui recouvrait son crâne. Le tissu était imbibé de sueur chaude. Il l'essora calmement, à bout de force. Même le sol ciselé par la sècheresse refusa d'absorber ce liquide trop chaud. 
Contre cet arbre solitaire, dans cet océan éreintant, Jarl Ydare pria la terre Mère pour que l'heure qui allait suivre jusqu'au prochain battement soit la plus courte de toute sa vie. 
Il ouvrit son sac de voyage fébrilement, épuisé par le trajet depuis les forêts de la Barrière et la soif omniprésente, puis extrait une petite bourse de cuir usée dont les cordages menaçaient de rompre à tout moment.

Un éclat vert retomba dans sa main, trésor solitaire, que Jarl contempla longuement en poussant un soupir. C'était ça où mourir de soif, ici.

Il repensa alors à la raison qui l'avait poussé à entreprendre une telle folie. Cette promesse faite à un ami Kaldt tombé au combat. Sur son bucher funéraire, tandis que les cendres de son corps mêlées à ceux de sa si chère bannière retombaient en pluie sur la plaine de la Barrière, il murmura :

"Je te promets de parvenir à faire sortir Anaëlla de cette folie dans laquelle elle s'est embarquée. J'irai en Larigua, mon ami, mon frère..."

Il avait alors traversé la plaine, un petit bout de la Région Verte, descendu la Sinueuse en radeau, cette rivière qui traverse le Massif Denté vers l'Océan, puis accosté peu après la Tranchante, pour enfin parvenir jusqu'au Désert de Pierre. C'était le chemin le plus rapide pour un homme à pied, mais le danger résidait dans cette dernière partie du trajet.

En contemplant l'éclat dans sa main, il sourit légèrement, en se disant que son ami, valait bien tout ceci, car il lui devait la vie, maintes fois.
Il se concentra sur l'objet qui pétillait dans sa paume et absorba l'énergie qu'elle contenait. Une fois fait, il s'empara de son paquet de carte de jeu, rechercha parmi elles, celles qui lui fallait, puis se redressa pour faire face à l'arbre mort.

Sans perdre de temps, il assembla les deux cartes, visa le tronc et riva son regard sur ce dernier à l'instant même où un bloc de glace traversa les airs pour se planter violemment dans l'acacia.
La chaleur ferait le reste. Il n'aurait plus qu'à tendre les lèvres puis sa gourde qui le tiendrait jusqu'à la fin de son voyage.

"Anaëlla, si ton frère ne peut plus veiller sur toi, je le ferais à sa place. Mais quel foutue idée tu as eu là de devenir Courtisane..."