Le poing massif de Démeter s'écrasa lourdement sur la table en bois où siégeait deux hommes face à lui. Son visage reflétait la colère dans sa parfaite caricature jusqu'aux veines saillantes qui pulsaient le long de son cou épais et le léger tic nerveux qui s'était emparé d'une plissure de son œil unique gauche. Le harnois poli et étincelant qui enveloppait sa stature ne faisait que rajouter plus d'ampleur à sa carrure déjà bien impressionnante. D'un geste rageur, le Champion balaya la table de cette grasse bourse de pièces d'or ovales qui avait été déposée devant lui, faisant résonner le bruit des morceaux de métal sur le sol, et refléter leur éclat comme une pluie d'étincelles. Il rabattit brusquement sa cape par dessus son épaule, et braqua son regard furieux sur le Doyen.

"Il n'y a que cela qui compte pour vous, Verez ? Le sang a t-il la même odeur que celui de votre or ?"

Nalaan répliqua en claquant de la langue en signe d'exaspération. Il se redressa à son tour de toute sa hauteur, les poings appuyés contre le bois de la table qui vibrait encore faiblement par l'impact du Kaldt, furieux.

"Ramassez cet or, Capitaine Ikan Démeter... sur-le-champs."

Il n'eut qu'à peine le temps de finir sa phrase, qu'un main jaillit brusquement vers son visage, le saisissant à la gorge, resserrant l'étreinte jusqu'à ce qu'un glapissement aiguë ne retentisse dans la pièce, faisant bondir Lorann hors de sa chaise.

"Lâchez-le !"

"Ecoutez-moi bien, bande de faquins: soit vous ouvrez plus de droits aux miens et aux Zargs, soit moi et mes hommes nous quittons cette ville pourrie et vous laissons seul face aux créatures de la forêt. Je ne suis pas un chien que l'on dresse à coup de pièces, soyons clair. J'ai perdu dix hommes cette nuit à cause de votre prétentieux désir de laisser la suprématie d'Havrenom aux Verez. La cité tombera si vous ne renforcez pas les effectifs militaires et ne prononcez pas la loi martiale."

Son regard se déplaça lentement d'un homme à l'autre, avisant rapidement l'éclat jaune sur leur front, avant de lâcher le Doyen qui s'écroula sur la table en suffoquant, rapidement soutenu par son comparse. Sans un mot de plus, Démeter fit volte face et sortit de la pièce en frappant la porte en bois afin qu'elle s'ouvre sur son passage. Sa colère n'avait en rien diminué et il frotta nerveusement la pierre rouge qui ornait son front à l'instant même où il fut rejoins par son second.

"Capitaine. (il le salua rapidement avant de prendre la route hors du bâtiment à ces côtés) Arsan et ses hommes sont rentrés tous sains et saufs, ils vous attendent dans la salle des stratèges."

La nouvelle laissa échapper un léger soupir des lèvres de Démeter, plus détendu. Puis, il afficha enfin un léger sourire aux coins des lèvres, posant une main respectueuse sur l'épaule de la Sentinelle. 

"Apporte leur tout ce dont ils ont besoin, j'arrive."

Le Second de la garde militaire d'Havrenom hocha rapidement de la tête et se dirigea promptement vers la caserne, laissant son supérieur en proie à une intense réflexion.

Pendant ce temps, dans la salle du Conseil des deux, Nalaan et Lorann se remettaient doucement de la prestation de force du responsable de la sécurité de leur ville. Ils restèrent un long moment silencieux durant laquelle chacun contemplait le vide à la recherche de la solution la plus judicieuse. Les broderies dorées qui agrémentaient la longue tunique du doyen mettait un point d'honneur sur la richesse de ce dernier et le pouvoir financier qu'il exerçait dans la ville. Mais c'est surtout les 3 chevalières de diplomate, qu'il faisait tourner distraitement autour de ses doigts, qui représentaient l'impact et la puissance politique dont il pouvait faire usage. Il porta finalement le chapeau de feutre noir et d'or sur sa tête, en lissant la plume de paon qui garnissait ce dernier d'un geste consciencieux. 

Le Doyen faisait tourner lentement la chevalière de son auriculaire autours de ce dernier, c'était la première qu'il avait reçut de la capitale. 

"Nous allons leur donner ce qu'ils veulent..."

Lorann resta interdit. Il grimaça finalement et se racla nerveusement la gorge en lissant les pans de sa tunique avant d'enfouir ses mains dans ses manches ornées de dentelles. 

"Je vais ordonner une annonce publique pour la loi martiale dès cette nuit... mais selon moi, on fait une grave erreur."

**

Lorsque Démeter entra dans la salle des stratèges, Arsan et trois autres hommes se redressèrent de leur siège où ils avaient trouvés repos après être revenu de leur expédition dans les bois de la forêt Tremblante. Ils avaient la particularité de ne porter aucune pierre, ni sur le front, ni autours du cou, car tel était la particularité des Zargs en plus de leur affinité avec la nature. Le cuir usé grinça sur leur mouvement, et les peintures de guerre qu'ils avaient placés sur leur visage s'était écaillé depuis le temps. Le Capitaine posa une main sur l'épaule d'Arsan, qui lui rendit le même geste, formant ainsi une boucle infinie par leur deux bras tendus, avant que chacun reprennent une posture normale. Le Zarg possédait une stature aussi très imposante, bien qu'en deçà de celle de Démeter, les deux hommes pouvaient surement se valoir en bras de force. Ses cheveux sombres retombaient sans grâce le long de ses épaules, rejoignant dans le fouillis ondulé une barbe hirsute. Le shaman tenait entre ses mains un long bâton de bois, garni de feuilles, de plumes d'oiseaux divers, de pattes de petits animaux, de petits os et était même surmonté d'un crâne séché de Saqwal, ces mystérieux hommes poisssons . 

Peu de temps après l'entrée du Capitaine, c'est une femme qui les rejoignit dans la salle. Le cliquetis significatif de son arrivée retentis dans la pièce, arrachant une certain grimace à Arsan alors qu'il détournait son regard d'elle, pour tenter de contenir son dégoût. Il n'avait jamais aimé les Sythères et leur obsession pour les sciences qui détruisaient la nature et l'écosystème. 

Les longs cheveux blonds de la femme retombaient souplement sur ses épaules tandis qu'elle se débarrassait de son haute forme sur lequel plusieurs roues dentées avaient été attachées. La pierre qu'elle portait autour du coup était comme celle de tous les autres Sythères, violette. La singularité d'Elena reposait sur sa main gauche manquante qui avait été remplacée par un membre mécanique dont chaque mouvement provoquait un cliquetis incessant, et malgré l'aspect peu avantageux de cette prothèse, elle en restait néanmoins fort pratique.

"Nous vous écoutons, Arsan, quelles sont les nouvelles ?"

La voix de la femme était beaucoup trop mielleuse, et l'arme qu'elle portait à sa hanche droite, tira finalement un simple soupir du Zarg, qui consentit enfin à parler.